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le premier chapitre de la suite de
"L'Assassin habitait au Pradès",
"Le Diable habitait au Pradès"
MEURTRE À LA VITALIÉ
PROLOGUE
Mardi 5 juillet 2016
Les obsèques de Jean-Luc Ferrat viennent de s’achever. Sur le chemin du retour, le silence règne dans le Renault Kangoo de la gendarmerie de Saint-Paul. C’est le gendarme Bernard Ficoulet qui est au volant. À ses côtés, le maréchal des logis-chef Marc Fontaine et, derrière, leurs collègues Sandrine Renard et Michaël Bruno sont perdus dans leurs pensées. Chacun à sa manière revit les événements passés : les assassinats de Pauline Magrin, d’Adèle Marchand, d’Auguste Batignac et de Christelle Sanchez ; les morts accidentelles d’Étienne Mounier et de Jean-Luc Ferrat. Traversant le hameau du Pradès, ils ne peuvent s’empêcher de tourner la tête vers le chemin qui mène à la ferme des Ferrat. Cet endroit est maudit. Que va devenir Odette ? Qui va vouloir reprendre la ferme désormais ? La maison de Jean-Luc et de Sophie Ferrat était en photo à la Une de La Dépêche titrant : « L’assassin habitait au Pradès » .
Alors qu’ils quittent le village, la radio les sort subitement de leurs rêveries. C’est le gendarme Gilles Vergnes, resté à la brigade, qui les interpelle :
– Chef, une tentative de vol de matériel agricole a mal tourné à la ferme des Cabrol, à La Vitalié. Il y a eu une fusillade et il y aurait un mort.
Sans réfléchir, Marc s’adresse à Bernard :
– Fais demi-tour ! On y va.
MEURTRE À LA VITALIÉ
ACTE 1
1.1
JULIEN
Mardi 5 juillet 2016
Julien Cabrol se devait d’assister aux obsèques de son ami d’enfance, Jean-Luc Ferrat. Tous deux agriculteurs, ils avaient suivi le même chemin : école communale de Montsonnié, collège de Réalmont, puis, après le brevet des collèges, travail à la ferme familiale, jusqu’à ce que leurs pères respectifs partent en retraite et qu’ils reprennent les exploitations à leur compte. Peu de temps auparavant, c’est un autre de leurs amis communs qui avait été mis en terre, Étienne Mounier. Bien que les deux enterrements se soient déroulés à six mois d’intervalle, ils ont disparu, tous deux de morts violentes, le même jour, début janvier. Étienne, après avoir été mis à la porte par sa femme, s’est tué en voiture. Il roulait trop vite et a perdu le contrôle de son Opel Corsa dans une épingle sur la route du Pradès. Jean-Luc, qui voulait se suicider après avoir abattu son épouse, Sophie, a été blessé mortellement par celle-ci avec l’arme qu’il pointait sur elle. Son corps, dissimulé dans le bois de Lagrifond par Sophie avec l’aide de son fils Fabien, vient seulement d’être retrouvé. L’enquête menée par la gendarmerie s’est terminée par l’arrestation de Sophie et de Fabien.
Face au caveau de la famille Ferrat, où le cercueil vient d’être déposé, Julien est effondré. Son ami Jean-Luc n’avait pas supporté le suicide en prison de son père Michel et l’arrestation de son fils Philippe, auteur d’un triple meurtre. Julien n’a pas le courage de présenter ses condoléances à Odette Ferrat, l’épouse de Michel et la mère de Jean-Luc. Elle est là, devant la tombe, le dos voûté, le teint pâle, les yeux sans vie et les mains tremblantes. Elle est soutenue par Sandrine, la femme de son petit-fils, Fabien. Que vont devenir ces femmes ? Odette semble déjà avoir rejoint son mari, quant à Sandrine Ferrat avec ses trois enfants en bas âge et un mari en prison, que lui réserve la vie ?
Julien, la cinquantaine passée, grand, les tempes grisonnantes, vit seul depuis son divorce avec Nathalie il y a dix ans. Quand on est une fille de la ville, la vie dans un hameau isolé est parfois difficile à supporter. Ils s’étaient rencontrés lors du mariage d’amis communs et ce fut le coup de foudre. Ils ont une fille, Cécile, qui vit à Bordeaux. Elle est mariée et mère de deux enfants. L’été, elle vient en famille passer quelques jours à La Vitalié. Contrairement à sa mère, elle aime la campagne. Elle y a passé toute son enfance et son adolescence. Elle est professeure des écoles, comme son mari. Julien est heureux lorsqu’il les reçoit. La Vitalié revit. Les rires et les cris des enfants rompent la monotonie et le silence des lieux. Leur venue est prévue la première quinzaine d’août. Il a hâte d’y être.
Lorsque son père est parti en retraite, Julien a repris l’exploitation familiale. La ferme est voisine de celle d’Auguste Batignac, l’agriculteur retrouvé noyé dans le plan d’eau de Bézain. On y accède depuis Montsonnié en prenant la route menant à Castres. À trois kilomètres de la sortie du village, sur la gauche, deux chemins empierrés se rejoignant au carrefour avec la départementale mènent aux fermes. L’un plongeant vers la Houlote – petite rivière qui se jette dans l’Agout –, prend fin aux Bouscaniers, l’autre, cheminant sur la crête, conduit à La Vitalié. Ce dernier traverse des prairies et des pâturages bordés de ronces, de houx et de buis. L’hiver, lorsque le temps est clair et dégagé, on distingue au loin les sommets enneigés des Pyrénées. En contrebas, dans la vallée de l’Agout, des taches rouge brique semblent avoir été posées délicatement au pinceau sur la verdure environnante. Ce sont les toits des maisons de La Roque. La Vitalié se trouve au bout du chemin long de sept cents mètres. Derrière un corps de ferme aux murs en pierres et au toit couvert d’ardoises se dressent deux immenses hangars métalliques et un bâtiment plus ancien, en bois, qui, terni par le temps, est devenu gris. Il est couvert de tôles tachées par la rouille. Du temps du père de Julien, c’était une étable sur deux niveaux : le bétail était en bas et le fourrage à l’étage. Aujourd’hui, Julien y stocke le foin et la paille. Les cinquante vaches laitières noires et blanches, de race Prim’Holstein, de Julien sont désormais installées dans le hangar ouvert le plus éloigné de la maison d’habitation, l’autre permet de mettre à l’abri les machines agricoles et divers matériels. Comme aux Bouscaniers, un bouquet de platanes accueille les visiteurs.
Il y a cinq ans, Julien a perdu son père ; sa mère vivait encore avec lui jusqu’à l’an dernier. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle est maintenant en maison de retraite, à Réalmont. Julien ne pouvait plus s’en occuper. Il va la voir le plus souvent possible mais, à son grand désespoir, elle ne le reconnaît plus. Il avait un frère aîné, Fabien, qui s’est tué au volant de sa Peugeot 205 GTI alors qu’il n’avait que dix-neuf ans. Dans l’accident, le fils unique d’Auguste Batignac, Frédéric, a péri également, brûlé vif. Ce drame aurait pu brouiller les deux familles, mais, très croyantes, elles se sont épaulées dans la douleur. Julien louait quarante hectares de prairie à Auguste Batignac. Cela lui avait permis d’augmenter son cheptel. Mais Auguste a été assassiné et ses héritiers ont mis la ferme des Bouscaniers en vente, ainsi que les terres. On raconte, au village, qu’un couple originaire de la région parisienne serait intéressé par la bâtisse pour en faire une maison d’hôte. Les hangars seraient détruits et ils ne garderaient que les terrains alentours. Si l’affaire se fait, Julien pourra peut-être se porter acquéreur des terres. Il en a besoin. Ne pouvant travailler seul, il employait Patrice Gros, mais Patrice est en prison. Il a embauché depuis un jeune du village, Kévin Chaumet. Kévin n’a pas de diplôme, mais il a toujours vécu à la campagne, il est très débrouillard et bricoleur. Il ne lui a fallu que très peu de temps pour s’adapter. Il est autant à l’aise avec le bétail qu’avec les machines agricoles. Julien s’est pris d’affection pour Kévin. Il le considère comme un fils. Il a totale confiance en lui et il lui laisse volontiers les clés de la ferme lorsqu’il doit s’absenter. C’est le cas aujourd’hui. Pendant les obsèques de l’ami de Julien, Kévin est resté à La Vitalié pour préparer et nettoyer le fenil. Les prés ont été fauchés. L’herbe a été retournée, séchée et conditionnée en balles la veille. Cet après-midi, ils ont prévu de faire plusieurs rotations pour rentrer et stocker le fourrage.
Julien quitte discrètement l’assemblée, suit une allée gravillonnée à l’ombre de grands cyprès et se dirige vers le caveau en granit du Sidobre de la famille Batignac. Il se signe, reste quelques secondes immobile face à la tombe d’Auguste, puis, deux allées plus loin, il procède de même devant celle de son père et de son frère. Les bras ballants, les yeux rougis, à pas lents il quitte le cimetière.
Lorsqu’il arrive à La Vitalié, au volant de son Peugeot Partner, il est surpris de constater que la Renault 5 rouge de Kévin n’est plus stationnée dans la cour à son emplacement habituel. « Kévin serait-il parti ?! C’est bizarre ! Il ne m’a pas dit qu’il devait s’absenter. » Les portes coulissantes des bâtiments sont grandes ouvertes, ce qui est encore plus étonnant. Il sort de son véhicule et s’avance. Black, son beauceron noir, se met à aboyer et tire rageusement sur la chaîne. Julien s’approche de son chien, le caresse et parvient à le calmer.
– Ohé ! Y’a quelqu’un ?... Kévin, tu es là ?
Pas de réponse. Julien pénètre dans le hangar à fourrage, où devrait se trouver Kévin, appelle de nouveau, mais le son de sa voix, absorbé par les parois en bois du bâtiment, reste sans réponse. Inquiet, il fait demi-tour et se dirige vers le garage à machines agricoles. Il a à peine franchi le seuil qu’il distingue dans la pénombre un corps allongé sur le sol en terre battue, une arme de chasse posée à ses côtés. Il se précipite et constate avec effroi qu’il s’agit de Kévin.